En 2020, la Stéarinerie Dubois fête son 200ème anniversaire. C’est l’occasion de se pencher sur deux cent ans d’une aventure humaine et économique unique, conduite tout au long des années par les descendants directs du fondateur: ici pas de nostalgie, mais de l’inspiration pour construire le futur
Alia Kouki, dans le cadre de son stage de Master 2 « Sources et valorisation des patrimoines d’entreprises » de l’Université Paris-Saclay a pu rassembler et mettre en forme beaucoup d’informations sur l’histoire de notre entreprise, guidée par Gérard Emptoz, chimiste et historien des sciences, professeur honoraire de l’Université de Nantes et grand connaisseur de l’histoire de la chimie des corps gras en général et de la stéarine en particulier. Merci à tous les deux pour leur aide précieuse.
C’est cette histoire que vous allez pouvoir découvrir tout au long de l’année avec cette Web Série.
Bonne lecture!
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Episode 2
La maison Dubois père et ses fils
Théodose Dubois associe ses deux fils au fonctionnement de l’entreprise : René (né en 1835) et Ernest (né en 1843).
A partir des années 1850, l’entreprise Dubois connaît un grand dynamisme. Elle conjugue en effet deux activités : elle fabrique de la stéarine puis elle transforme cette stéarine en bougies et cierges. Elle se démarque en cela des petits fabricants de bougies qui se contentaient d’acheter la stéarine à des producteurs de cette matière première. Les journaux de l’époque relatent d’ailleurs les conflits permanents entre les fabricants de bougies et les stéariniers, les premiers reprochant aux seconds de réserver la stéarine à leur usage (car les stéariniers transformaient leur propre stéarine en bougies) tout en empêchant l’importation de stéarine étrangère par l’imposition de taxes prohibitives.
L’Etat finira par prendre le parti des fabricants de bougies en supprimant les taxes sur la stéarine d’importation, au grand dam des stéariniers.
Quoi qu’il en soit, dès les années 1850, la maison Dubois était donc déjà un producteur de produits chimiques !
Les ateliers de l’entreprise sont successivement situés à Montrouge puis à Boulogne-Billancourt, sans qu’on puise identifier leur localisation précise. Néanmoins la transformation du suif est une industrie polluante et malodorante qui est progressivement chassée des zones urbaines.
La Maison Dubois participe à la première exposition universelle en 1855, à Paris.
En 1961 la maison Dubois va déménager. Le siège de l’entreprise et le magasin de vente quittent la rue des Lombards et s’installent à proximité au 89, rue de la Verrerie à Paris. Dans le même temps l’usine va s’installer à Montreuil, en proche banlieue de Paris, dans une zone encore très peu urbanisée. Les Dubois s’installent sur une partie du domaine de l’ancien château de Tillemont.
La société porte désormais le nom de « Dubois Père et ses fils »
Le siège de la rue de la Verrerie à Paris et l’usine de la rue de Tillemont à Montreuil seront les deux implantations de l’entreprise jusqu’aux années 1960.
La société dépose un brevet d’invention de quinze ans le 12 décembre 1864 pour une machine à couler les chandelles et les bougies. Elle montre ainsi qu’elle tient une place importante parmi les stéariniers et fabricants de bougies de l’époque.
Cette période sera néanmoins marquée par un drame : en 1865, Ernest, un des fils de Théodose Dubois, meurt à 22 ans, asphyxié dans la fosse de décantation de l’usine, avec un des ouvriers qui a tenté de lui porter secours. Laissons la presse de l’époque relater ce tragique accident.
« Dans l’intérieur des locaux exploités par Monsieur Ernest Dubois, âgé de 22 ans, né à Paris, fabricant de bougies au lieu-dit Tillemont, à Montreuil il existe un puisard de 7 m. de profondeur et 2 m. de diamètre, qui reçoit, par des infiltrations, les eaux vannes et acides des fosses servant à préparer les matières pour la fabrication.
Depuis le commencement des chaleurs, ce puisard exhalait une odeur méphitique insupportable. M. Dubois, désirant le faire curer, s’aboucha à cet effet avec des ouvriers, mais comme ils lui demandaient un prix assez élevé, il voulut préalablement se rendre compte par lui-même de l’importance du travail. Hier, à deux heures de l’après-midi, tandis que les ouvriers de son usine étaient occupés à prendre leur repas, le manufacturier ouvrit le puisard, et après y avoir placé deux échelles attachées bout à bout, formant une longueur de huit mètres, il se mit en devoir de descendre.
A peine eût-il franchi quelques échelons qu’il se sentit suffoqué. Il s’écria : A moi, mes amis! au secours ! Et aussitôt, il tomba et disparut sous l’eau. Un ouvrier nommé G. Saïd, âgé de vingt-neuf ans, demeurant à Fontenay-sous-Bois, qui travaillait dans une pièce voisine, avait entendu le cri de son patron ; il s’élança dans la grande cour et donna l’alarme. Tous les ouvriers accoururent, mais ce fut pour voir tomber Saïd, qui n’avait pas attendu leur arrivée pour essayer de sauver M. Dubois. Un journalier, nommé Jean Muller, âgé de vingt-neuf ans, demeurant aussi à Fontenay, rue Mauconseil, voulut absolument descendre afin de porter secours, mais il tomba également ; par bonheur on put le saisir à l’aide d’un croc, et à force de soins ou parvint à le ranimer.
Le contremaître s’opposa à de nouveaux actes de dévouement qui ne pouvaient que faire d’autres-victimes et envoya chercher le docteur Caraval, demeurant dans le voisinage. Ce médecin fit promptement désinfecter le puisard. Les ouvriers purent alors retirer les cadavres avec le concours des sieurs Vautrin, brigadier, et Pessé, gendarme à pied de la brigade de Montreuil. Le commissaire de police de Vincennes, averti de cet événement s’est rendu aussitôt sur les lieux et a procédé aux constatations. Il a reconnu qu’il y avait au fond du puisard un mètre vingt centimètres de vase provenant de détritus de toute nature, et par son ordre des mesures ont été prises immédiatement pour débarrasser la manufacture de ce foyer d’infection. »
Cet accident rappelle la dangerosité de cette industrie chimique naissante.
Suite à la disparition d’Ernest, l’entreprise change de nom en 1866 et devient « Dubois Fils Aîné et cie ».
Théodose Dubois meurt en 1872, laissant la direction de l’entreprise à son fils aîné, René-Alexandre Dubois.
La maison Dubois Fils Aîné
René-Alexandre Dubois poursuit le développement de l’entreprise.
Il meurt en 1890 et transmet la direction de l’entreprise à son fils unique René-Alphonse Dubois (1865-1927).
La bougie stéarique, innovation technologique majeure du XIXeme siècle
L’ile mystérieuse est un roman de Jules Verne publié en 1875. Dans ce roman raconte comment un petit groupe d’homme perdus sur une ile inhospitalière survit grâce aux ressources de la science et de la technologie de son temps, sous la conduite de l’ingénieur Cyrus Smith. La fabrication de bougie stéarique, innovation technologique majeure, ne pouvait pas être oubliée :
« Les phoques étaient nombreux, et les chasseurs, armés de leurs épieux ferrés, en tuèrent aisément une demi-douzaine. Nab et Pencroff les dépouillèrent, et ne rapportèrent à Granite-house que leur graisse et leur peau, cette peau devant servir à la fabrication de solides chaussures.
Le résultat de cette chasse fut celui-ci : environ trois cents livres de graisse qui devaient être entièrement employées à la fabrication des bougies.
L’opération fut extrêmement simple, et, si elle ne donna pas des produits absolument parfaits, du moins étaient-ils utilisables. Cyrus Smith n’aurait eu à sa disposition que de l’acide sulfurique, qu’en chauffant cet acide avec les corps gras neutres, — dans l’espèce la graisse de phoque, — il pouvait isoler la glycérine ; puis, de la combinaison nouvelle, il eût facilement séparé l’oléine, la margarine et la stéarine, en employant l’eau bouillante. Mais, afin de simplifier l’opération, il préféra saponifier la graisse au moyen de la chaux. Il obtint de la sorte un savon calcaire, facile à décomposer par l’acide sulfurique, qui précipita la chaux à l’état de sulfate et rendit libres les acides gras.
De ces trois acides, oléique, margarique et stéarique, le premier, étant liquide, fut chassé par une pression suffisante. Quant aux deux autres, ils formaient la substance même qui allait servir au moulage des bougies.
L’opération ne dura pas plus de vingt-quatre heures. Les mèches, après plusieurs essais, furent faites de fibres végétales, et, trempées dans la substance liquéfiée, elles formèrent de véritables bougies stéariques, moulées à la main, auxquelles il ne manqua que le blanchiment et le polissage. Elles n’offraient pas, sans doute, cet avantage que les mèches, imprégnées d’acide borique, ont de se vitrifier au fur et à mesure de leur combustion, et de se consumer entièrement ; mais Cyrus Smith ayant fabriqué une belle paire de mouchettes, ces bougies furent grandement appréciées pendant les veillées de Granite-house »
Jules Verne, L’ile Mystérieuse, chapitre XX